Oh piglet ! My piglet

Me voilà un petit soir à Chamonix, après une journée d’escalade sur glace où ma taille élancée a encore caché mon poids conséquent et je me suis retrouvé plutôt deux fois qu’une pendu à des piolets qui couinaient de me supporter. Après donc une journée d’hésitantes ambitions aériennes dans des voies où la glace m’accordait le reflet de mon incompétence, je décide d’un dîner pour me réconcilier avec mes muscles peu habiles, mes jambes si grandes qu’elles préfèrent marcher même quand il faut grimper, mon mental non sophrologisé qui s’évade sans prévenir. Ce sera donc la Calèche, ce soir, pour me mettre du baume aux muscles et au moral. Et la carte de la Calèche possède tous les attributs d’un soutien sans faille au grimpeur malhabile. J’arrive sans prévenir, on me fait la grâce d’une table mais pour une heure seulement – chanceux d’être redescendu tôt de la montagne ! – et je fais mon choix sans hésitation : un carré de porcelet qui sonne juste, cuisiné lentement, mijoté tendrement, un intitulé qui anticipe le fondant et active la salivation. Le temps de vider une sage bouteille d’eau et voici ma serveuse qui apporte sur ses nombreux bras musclés tout un assortiment dont on pourrait douter qu’il s’adresse à moi seul : cocotte en fonte, couverts de services, cassolette de sauce, plat de légumes, assiettes surnuméraires, corbeille de pain, et qui pose le tout sans heurt ni effort et d’un fort bel ensemble sur ma table soudain encombrée. Me voilà donc servi et je m’apprête à déguster – traduction : tout engloutir – quand elle me souhaite un « excellent appetite » qu’elle conclut d’un « enjoy ! » quasiment Oxfordien.

Well, excuse me ? Enjoy ?

Alors, yes, but quand même, why do you speak to moi en anglais, jeune serveuse ? Pourquoi do you look at me en attendant an answer and are disappointed quand je rebondis en français? Hein, why ? Pardonne my french but c’est vraiment trop strange de dîner in Chamonix and se faire adresser en anglais. Ok, I look anglo-saxon maybe with ma grande taille mon air sympathique and all the trimmings but quand même ! Why ? Oh pourquoi ?

Je tourne la tête à droite et comprends your méprise : c’est à cause de la tablée voisine, obviously, une troupe sonore de cinq mâles anglais venus respirer la poudre et maintenant profondément installée dans des fauteuils en velours rouge autour d’une table ronde. Ils descendent – forcément – de grandes chopes de bière, ont l’air bien heureux, very contents, ils évoquent les longues glissades d’une fantastic afternoon. Car c’est un fait : Chamonix, en janvier, est britannique. Tout simplement. Et mes voisins anglais forment un échantillon représentatif des innombrables équipées que l’on rencontre dans les rues de l’autoproclamée capitale mondiale du mont Blanc. Des groupes d’hommes, principalement, d’un âge plus mûr que d’or, équipés bien comme il faut, vêtus tout pareil, des anglais ayant brillamment réussi et qui s’accordent quelques jours de détente loin de la rat race. Ils profitent and, d’après eux et leurs bières joyeuses et leurs raclettes pléthoriques, sont bloody right de le faire !

Des effluves taquines et insistantes me ramènent au sujet du moment et je me reconcentre sur mon assiette, et la kyrielle d’accessoires qu’il a fallu lui assortir. D’un geste sec du poignet je verse la sauce sur le carré bien fondant à la graisse dorée recouverte de graines dont je questionne la nature – genièvre ? poivre ? baies roses… ? ce sera genièvre, finalement – et m’attelle à la dégustation. Petites bouchées d’une extrême tendreté, le couteau reste sagement rangé sur le côté, la sauce veloutée au goût robuste d’abats me nappe les papilles, enrobe ma langue dans une revigorante thalasso. Les rires bruyants des Anglais abreuvés tentent de m’extraire de mon immersion mais le porcelet m’en défend et je m’entortille au sein des entrelacs d’os de peau et de chair qui me donnent des frissons. Ce carré je le suce, je l’avale, je le prends, je l’englobe, mes sens étanches aux autres sollicitations ne laissent rien passer de ses offrandes, pas un fumet, pas un goût, pas une sensation, le croquant des graines sur l’élastique de la couenne, le fondant de la viande, le goût noir des champignons et le cri des grenailles sous mes canines acérées.

Voilà. Trois petits os, un morceau de pain et quelques contenants vidés de leur substance restent seuls pour témoigner de ma revigorante dégustation. Les rires et les jokes de mes neighbours qui s’étaient fondus dans un bruit blanc reviennent à mes oreilles, mais adoucis, mais moins sonores, pas gênants. Agréables, presque, tandis que je m’enfonce d’aise un peu plus dans ma banquette. L’amer déca de la Calèche me ramène sur des terres familières et quand ma serveuse, me voyant repu, s’approche de ma table, c’est dans un français des plus purs qu’elle titille d’un : « c’était bon ? » mon voyage commencé en anglais de cuisine. J’approuve et sors me frotter aux so british exclamations qui s’échangent jusque tard dans les rues blasées de Chamonix.

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