L’expédition qui devait partir est partie.
Mais, où donc ? Je ne sais pas.
Quelque part pas trop loin de mon Bleu Céleste – en tout cas, pas trop loin vu d’ici, de ma banlieue, de ma chaleur dite caniculaire – oui, cela s’appelle l’été, aussi – pas trop loin de mon Bleu Céleste, mais ailleurs. Direction pic Lénine, un des rares survivants de l’apothéose communiste.
Mon guide du Khan s’y est fourvoyé.
Certes, il est haut, ce pic. Et froid. Et beau.
Enfin… beau… vu de loin, oui. De près, on le dit plat comme une limande et morne comme la pluie. 7134 m d’altitude et pas une bosse à l’horizon. Quelques longues pentes de neige, un immense plateau glaciaire. Du vent, du froid, peu d’oxygène. Une marche pénible dans des conditions hostiles.
Oui. Il est chiant, ce Lénine.
Température au sommet du Pic Lénine -17°
Température ressentie au sommet du Pic Lénine -27°
Haut d’à peine 7000 m – il n’en fait que 6990 mais les agences lui rajoutent 10 m de glace plus ou moins avérée – d’ailleurs, on n’y pose pas les pieds, instable comme elle l’est – oui, 10m de glace magique pour satisfaire les consommateurs de hauteur – on y fait pourtant moins le fier. On y est plus sérieux. Pus vertical. Plus rude, aussi.
Plus froid.
Température au sommet du Khan Tengri -19°
Température ressentie au sommet du Khan Tengri -37°
Ce facteur vent qui cavale à travers les steppes de l’Asie centrale porte en lui les germes du froid intense et sibérien, un froid polaire, un froid venu de l’espace intersidéral qui est le seul véritable froid. Le froid du zéro absolu, de l’absence de matière, du vidé éternel. Éternel, justement parce que vide. Ne peut se dégrader. Ne peut se corrompre. Ne peut s’abîmer.
Le Khan Tengri, mon Bleu Céleste porte en lui les traces du froid essentiel. Et j’attends maintenant que mon guide fourvoyé redescende pour aller grimper, l’année prochaine, jusqu’au ciel.
